Biélutine nous immerge dans l'univers du couple Ely et Nina Biélutine, au cœur de leur appartement moscovite plongé dans un clair-obscur d'un autre temps, comme en écho aux multiples œuvres d'art qui peuplent les lieux. Clément Cogitore a rencontré ce couple qui serait propriétaire de l'une des plus importantes collections d'art de la Renaissance, réunissant des sculptures de Michel-Ange, des peintures de Léonard de Vinci et du Titien. Comment un tel ensemble d'œuvres a-t-il pu être rassemblé par ces deux personnages énigmatiques ? Nous n'en saurons pas plus ; à peine Ely évoque-t-il un père vénitien et amateur d'art. La caméra se pose sur les objets (les cadres dorés des peintures, les bustes en marbre, les verres en cristal de cette improbable collection), balayant les murs de ce vieil appartement où le couple cohabite avec ses chats, ses œuvres et d'insolites peluches à la fonction mystérieuse. Autour d'un repas crépusculaire arrosé de vodka, Ely évoque des théories militaires ou spatiales sans que son discours ne fasse réellement sens et ne puisse révéler le mystère de ce couple dont l'existence semble détachée de toute réalité matérielle. Seul demeurent ses aphorismes faisant résonner le mystère du monde et la vacuité de la condition humaine : « toute la vie n'est qu'une vaste comédie ».
Présenté dans le hall de la Cinémathèque, Élégies montre un concert de musique a priori très éloigné de l'ambiance hors du temps de l'appartement des Biélutine, mais la tension qui se dégage de cette foule massée, attendant le début du concert, et le lyrisme de la lecture des Élégies de Duino de Rainier Maria Rilke entre en résonance avec le premier film.
Tout comme dans son long-métrage Ni le ciel ni la terre (2015) ou son film Un archipel, qui lui a valu le Prix Ricard 2016, l'œuvre magnétique de Clément Cogitore oscille entre des récits elliptiques et un hors-champ fantastique, jamais résolu et creusant une part de mystère, la lente progression de l'inconnu, une interrogation sourde.