Untitled
Peter Wächtler
Cinémathèque Robert-Lynen, Paris
Mardi 10 mars 2015
Untitled, 2013. Vidéo HD, 14'. Courtesy de l'artiste & la galerie Dependance, Bruxelles
« abjectes abjectes époques héroïques vues des suivantes à quand la dernière quand ma belle chaque rat a sa blütezeit je le dis comme je l'entends »
« ma vie dernier état mal dite mal entendue mal retrouvée mal murmurée dans la boue »
- Samuel Beckett, comment c'est, Les Editions de Minuit, Paris, 1961
L'œuvre de Peter Wächtler est prolifique et protéiforme : films, textes, céramiques, sculptures, pièces sonores, dessins au fusain, aquarelles. Elle embrasse avec noirceur et humour ce que la comédie humaine a de tragique et répétitif. L'artiste est fasciné par les codes narratifs, la manière dont on raconte une histoire. Il s'attaque ici aux rouages de l'industrie hollywoodienne, ses principes narratifs usés jusqu'à la corde et utilisés pour nous embarquer dans des histoires extraordinaires. Mais ici, rien de bien extraordinaire, que du très ordinaire ! De la misère au kilomètre.
On retrouve donc un vieux truc : la voix off qui évoque les souvenirs. Le personnage animé qui chante et montre sa belle voix pour mieux saisir le spectateur, sa proie. Mais ici, la voix off est étrangement laconique et a un fort accent allemand (celle de l'artiste) ; le rat entonne un blues de Bruce Springsteen (The River, 1981) d'une tristesse sans espoir et sans issue… « we'd go down to the river and into the river we'd dive »
De la misère au kilomètre. De la douleur anesthésiante. De la solitude hébétée. Les faits ressassés d'un quotidien sans lumière. Aube laiteuse et vide, nuit foncée comme un volet fermé, qui reviennent sans cesse. Boue qui colle aux béquilles. Gestes abyssalement et mécaniquement répétés. Sisyphe et son rocher!
Car, vous l'avez compris, les personnages des films d'animation de Peter Wächtler sont comme ces anti-héros au bord du monde, murmurant, criant douloureusement leur vie, des bribes de leur vie, plus ou moins dans l'ordre, les pieds dans la boue : « comment c'était comment c'est ? » écrivait Samuel Beckett en 1961 ; comme ces héros dépressifs, alcooliques, las d'être encore là sans exister, aphasiques et paralytiques, ces héros de comédies absurdes, sans fin, tragi-comiques de Brecht et de Beckett. Ces personnages animés sont en fait désanimés, désaffectés ; à l'opposé de ceux de Walt Disney - lointains et joyeux cousins d'Amérique auxquels ils se réfèrent, ils s'éloignent de nous, au fur et à mesure que la trame tragique se construit cahin-caha : pas d'identification, pas d'incarnation mais de la distanciation ! Ces personnages animés se désaniment sous nos yeux, au point de n'être plus qu'un squelette de fil de fer, l'ombre d'eux-mêmes.
Né en 1979 à Hanovre, Peter Wächtler vit et travaille entre Bruxelles et Berlin. Il est représenté par Dépendance (Bruxelles) et Reena Spaulings (New York). En 2014, un recueil de ses textes, Come On, est paru chez Sternberg Press. Il prépare une exposition monographique à la Renaissance Society de Chicago en 2015, après avoir exposé au Westfälischer Kunstverein de Münster en 2014. Il a participé à la Biennale de Liverpool (2014) et à la Biennale de Lyon (2013).