Les vidéos et sculptures de Jumana Manna sont des précipités d'histoire et de géographie, des récits appropriables reflétant les secousses politiques, économiques, religieuses et sociales qui bouleversent quotidiennement le cours du monde, lesquelles demeurent souvent difficiles à appréhender par leur complexité et leur essentialisation polémique. En ce sens, ses œuvres pourrait aisément être mises en rapport – le souffle artistique et le désir de mettre en scène « la politique des corps », en plus – avec la science forensique contemporaine, notamment telle qu'elle fut récemment déployée avec l'exposition Images à charge. La Construction de la preuve par l'image (Le Bal, été 2015).
Toutes deux liées à un contexte géopolitique précis – la Palestine dont l'artiste est originaire –, les vidéos du programme se situent à 70 ans d'intervalle ; elles entrecroisent histoires personnelles, insignifiantes, et l'Histoire telle qu'elle avance inexorablement. Hommage au Scorpio Rising de Kenneth Anger (1963), Blessed Blessed Oblivion se déroule dans le Jérusalem Est d'aujourd'hui et dresse le portrait profane, quotidien et violent d'un groupe de jeunes hommes arabes. Inspirée de la photographie d'une fête costumée à Jaffa en 1924, A Sketch of Manner est le réénactement fictif d'un bal qui aurait eu lieu en 1942 chez le richissime industriel Alfred Roch, représentant de la Palestine à la Conférence de Londres en 1939. 1942 : la Palestine quitte l'Empire ottoman, passe sous protectorat britannique et verra bientôt la naissance de l'État d'Israël. Joué par la famille et des amis de l'artiste, introduit par le poème La vie antérieure (1857) de Charles Baudelaire, le film se déploie dans un espace-temps indécis, entre amnésie, nostalgie du temps perdu et anticipation.