Au vestiaire de la vie, les temps modernes traînent leur charroi monotone et dessinent sur nos lèvres un air idiot ; nos rêves se sont réglés au pas fou de leurs valeurs. Dans The Ape from Bloemfontein, Jos de Gruyter et Harald Thys, avec cet humour noir et décapant qu'il leur est si particulier, filment quatre personnages ordinaires, mutiques, au regard fixe, qui, sans ciller, composent des groupes qui ressemblent à s'y méprendre aux reconstitutions du musée de l'Homme ou du musée Grévin. Ils les filment comme des hominidés paumés, déshumanisés, qui ne sont plus des chasseurs-cueilleurs mais de simples travailleurs-acheteurs esseulés et aliénés ! Tandis que la vacuité assourdissante des scènes nous assaille, une voix-off raconte en afrikaans les aventures rocambolesques, loufoques et cartoonesques de Jaap qui était un poulet mais aussi un singe et qui avait un ordinateur qui était aussi une tondeuse à gazon, sur laquelle il regardait la télévision...
Jamais Jos de Gruyter et Harald Thys n'avaient poussé aussi loin la discrépance entre le son et l'image, la discordance entre la fiction et la réalité, la divergence entre l'espace réel et l'espace mental. Jamais ils n'avaient poussé aussi loin leur théâtre de l'absurde, transformant les gens en statue, en Pietà des névroses modernes, tandis que Jaap le singe transforme une vieille dame et une coccinelle en pomme de terre... Ils nous embarquent dans une nef où les gens sont devenus fous, sur une nouvelle Planète des Singes où les hommes sont comme des animaux en cage, insensibilisés, les poupées de cire d'un musée Grévin désespéré et grinçant.